don't shop, adopt ~ kat

Je passe devant le comptoir d’accueil où notre mascotte fait un somme et esquisse un sourire sans toutefois tendre la main. Je ne suis jamais avare de caresses avec mes pensionnaires mais je sais également me retenir quand ils se reposent. La journée est déjà bien entamée et je viens de rentrer de promenade avec deux chiens en attente d’une famille. Même si ma longue expérience dans le domaine m’a appris à mettre mes émotions en sourdine pour ne pas sombrer, j’ai du mal à ne pas penser à eux alors que les fêtes de Noël approchent. L’un de nos félins ayant été adopté ce matin, j’essaie de me concentrer sur cette bonne nouvelle pour faire pencher la balance du côté positif. Et puis, l’après-midi n’est pas encore passé ! Un coup d’œil à ma montre m’apprend que l’heure du déjeuner approche à grands pas. Je me dirige alors vers mon bureau : il faut que je remplisse de la paperasse avant de m’occuper de mon estomac… A moins que quelqu’un ne veuille bien m’obliger à procrastiner ?

Une longue matinée s'était déroulée, j'avais nettoyé tout l'intérieur du ranch, pendant que mes soeurs s'étaient occupées de l'extérieur. Il me restait une heure devant moi, avant de déjeuner. J'avais envie de bouger, voir du monde pour me changer les idées et ne pas sombrer dans la nostalgie. Je savais que Sarah était parfois débordée, alors je pouvais lui rendre une petite visite avec un petit panier repas.
Armée de mon panier où il y avait des sandwichs, des chips de légumes et des salades de fruits. J'avais pris la voiture pour me rendre au refuge des animaux. J'avais toujours cette folle envie d'adopter un petit chiot ou un petit chaton. Mais pour le moment, je ne voulais pas m'occuper d'un animal supplémentaire, mes parents étaient décédés il y a quelques semaines, alors il y avait de la paperasse à rassembler. Puis, il y avait une charge de travail supplémentaire au ranch.
Je constatais qu'il n'y avait personne vers les animaux, mais la voiture de mon amie était là, alors elle devait déjà être dans son bureau. Je toquais en attente d'une réponse.
- Livraison d'un repas !

Je pousse un soupir à fendre l’âme alors que je constate la montagne de papiers qui m’attend au bureau. Je reste un court moment comme paralysée, ne sachant par où commencer. Je finis par rassembler les feuilles en deux ou trois tas, en fonction de ce qu’elles concernent : les factures des achats pour le refuge, les ordonnances vétérinaires, d’autres factures mais cette fois pour le fonctionnement des locaux, etc. Il me faut apposer ma signature et préparer les envois postaux, sans oublier de glisser un chèque dans presque chaque enveloppe. La fin du mois arrive et même si Décembre est toujours plus agréable que les autres compte tenu des fêtes de fin d’année, cela ne change rien : le seul côté de mon boulot que je déteste, c’est bien l’administratif et la comptabilité. Pour autant, c’est une tâche qui m’incombe fatalement en tant que gérante des lieux…
Quelques coups discrets contre la porte entrouverte de mon bureau me sortent de mes pensées : bientôt, le doux sourire de Kat vient éclairer la pièce. Alors qu’elle me montre fièrement le panier qu’elle a préparé pour nous, mes yeux se mettent à briller. « Kat ! Tu sais que je suis toujours très heureuse de te voir mais là… tu me sauves littéralement la vie ! » Je fais un signe vers ma surface de travail invisible sous l’amas de papiers et de courriers ouverts. « Je pense que je serais plus apte à affronter cette épreuve une fois l’estomac bien rempli. » Un rictus espiègle étire mes lèvres, et je l’invite à me suivre. « Viens, on va s’installer dans la salle de pause. Aujourd’hui tout le monde est rentré pour le déjeuner, on sera tranquilles. » J’ai hâte de m’installer à table avec Kat et de partager un bon moment entre filles…

Les fêtes, décembre, cette année c'est particulier. Je ne me sens pas joyeuse de fêter cet événement, nos parents étant décédés depuis peu. J'étais habituée de préparer une énorme dinde avec des marrons pendant que ma mère s’atteler à faire une bûche au chocolat. Alors, je tente de ne pas y penser, de m'occuper l'esprit, rejeter la question de Noël avec mes sœurs et mon frère.
Je voulais faire une surprise à mon amie Sarah, lui préparer de quoi déjeuner avec elle, j'adorais passer au refuge, jouer un temps avec les animaux, l'aider à les nourrir.
-Kat ! Tu sais que je suis toujours très heureuse de te voir mais là… tu me sauves littéralement la vie !
Je souriais, heureuse de voir que ma visite tombait bien. Je remarquais la paperasse sur le bureau, cela me faisait penser que je devais m'occuper de la mienne moi-aussi. Une horreur ! Je la suivais jusqu'à la salle de pause, commençant à déballer les quelques sandwichs que j'avais préparé, avec des légumes crus que j'avais coupé pour manger avec une petite sauce.
- Je pense que tu aurais vraiment besoin de décompresser ce soir, genre boire une bonne bouteille, danser avec des hommes dans une magnifique robe ?
Je crois que moi-même j'en avais besoin d'une sortie décompressante, avec une virée dans un bar, une virée dans une boîte de nuit, danser avec une amie jusqu'à ne plus en pouvoir.

Je sors quelques boissons et deux verres avant de les poser sur la table, alors que Kat s’occupe du contenu de son panier. Je vais pouvoir profiter de ce petit moment entre amies : Mary est de permanence et ne viendra me chercher qu’en cas de besoin. Mon estomac gronde et je réalise alors que j’ai vraiment une faim de loup. Je m’installe sur une chaise aux côtés de Kat. « Tu me gâtes beaucoup trop, tu sais ! » Le ton de ma voix se veut espiègle, mais aussi reconnaissant. Je suis sincèrement heureuse de ce tête-à-tête qui me permettra de prendre de ses nouvelles. C’est une période compliquée pour les Black en ce moment et je veux m’assurer que Kat arrive malgré tout à garder la tête hors de l’eau. Je souris quand elle me propose de sortir ce soir. Je suis plutôt du genre tranquille, à préférer un bon restaurant ou un cinéma à une virée en boite de nuit. Sans doute cette différence avec Kat vient-elle de notre différence d’âge. Pour autant, j’y réfléchis. Je suis prête à refuser, à lui proposer autre chose, mais je me ravise au dernier moment. « Tu as raison. On en a besoin, toutes les deux. Je suis partante mais à une condition... » Je laisse planer le doute une fraction de seconde alors que je croque dans un morceau de carotte, puis j’ajoute avec un rictus amusé. « J’ai besoin que tu choisisses ma tenue ! » Je me sens vieille tout à coup, du haut de mes trente-deux ans, mais au moins, je sais admettre quand il me faut de l’aide…

Je croque dans mon sandwich, heureuse de me remplir l'estomac. J'étais ce genre de fille qui trouve toujours un petit truc à grignoter. Heureusement, je me dépense beaucoup au ranch. Je me contentais de sourire à mon amie pour lui faire comprendre qu'il était normal que je lui apporte ce déjeuner. Je lui avais proposé de sortir, certes, elle était un peu plus âgée, elle n'avait plus les mêmes intérêts pour certaines sorties. Mais selon moi, il n'y a pas d'âge précis pour aller danser jusqu'au bout de la nuit, surtout quand on est avec de bons amis.
-  Tu as raison. On en a besoin, toutes les deux. Je suis partante mais à une condition... Je la regardais assez intriguée, mais presque satisfaite qu'elle m'accompagne. J’ai besoin que tu choisisses ma tenue !
Je finissais le morceau de concombre que j'avais en bouche, m'imaginant un instant son dressing rempli. Parce que Sarah, mine de rien, elle s'habillait bien, je me demandais même pourquoi elle avait besoin de moi.
- Tu rigoles, tu as des robes tellement mieux que les miennes, puis regarde ton corps, même un sac tu serais belle... Mais je vais venir t'aider !
D'ailleurs il fallait que je pense aussi à ce que j'allais mettre, car avant de venir à Lakewood j'avais établi un grand tri dans mes vêtements et depuis, c'était un peu le néant dans mon armoire. Je mettais même un peu trop souvent les mêmes vêtements tous les jours.
- Je crois qu'il faut vraiment que je m'achète de nouveaux vêtements, je vais devoir certainement remettre la même robe que celle que j'ai mise la dernière fois.

Je me sens presque rougir face aux mots de mon amie, surtout qu’elle-même n’a strictement rien à envier à personne. « Je te retourne le compliment, jolie rousse, » j’ajoute avant de mordre dans l’excellent sandwich préparé par ses soins. Il est vrai que mon dressing prend pas mal de place à la maison. Chose assez étrange quand on sait que la plupart du temps, je me contente de choisir les mêmes jeans et tops assez simples. Travailler avec des animaux en est la raison principale car désormais, je ne suis plus assise derrière un bureau toute la journée, avec pour seul risque celui que mon café se renverse sur mes vêtements. Ces derniers sont aujourd’hui exposés à la poussière, à la boue et aux très, très nombreux poils. Et même si je suis loin de m’en plaindre, une chose est néanmoins certaine : mes robes n’ont plus vraiment l’occasion d’être portées. Et elles méritent beaucoup mieux que ça, je pense avec humour. « Tu es bien placée pour savoir qu’elles dorment dans mon placard, alors tu sais quoi ? On se retrouve à la maison, tu prendras celle que tu voudras et tu pourras la garder. » Comme je me doute qu’elle risque de refuser par embarras, je m’empresse d’ajouter. « La vérité c’est que je n’en ai pas payé la moitié. La plupart ont été offertes par le C.A. de mon ancien boulot, parce qu’ils organisaient souvent des cocktails avec des clients et que ma présence était requise… » Je soupire en songeant à ma vie d’avant. Mais pas de nostalgie, au contraire. « J’avais une très bonne place, mais même les fringues gratuites ne me manquent pas. » J’esquisse un sourire à l’attention de Kat. « Alors, ça te semble correct, comme plan de pré-soirée entre jeunes femmes célibataires et en grand besoin de décompression ? »

Lorsque je vivais encore à Ashcroft, dans ce petit village, il n'y avait pas de nombreux endroits pour faire la fête, enfin il y avait quand même ce petit bar hyper sympa. Mais durant longtemps, j'ai été cette fille légèrement coincée, qui préférait faire ses corvées au ranch, s'intéresser à la nature, peindre pour continuer à m'émerveiller de tout et de rien. Alors, je ne sortais pas souvent, mais depuis que je suis à Lakewood, je ressens ce besoin de m'amuser, de bouger, profiter de ce que j'ai perdu. Car même lorsque j'ai fait ma seule année d'étude en histoire de l'art dans une grande ville, je restais dans les musées, dans les parcs, les librairies.
- Tu es bien placée pour savoir qu’elles dorment dans mon placard, alors tu sais quoi ? On se retrouve à la maison, tu prendras celle que tu voudras et tu pourras la garder. [...] La vérité c’est que je n’en ai pas payé la moitié. La plupart ont été offertes par le C.A. de mon ancien boulot, parce qu’ils organisaient souvent des cocktails avec des clients et que ma présence était requise…
Elle semblait avoir eu une vie plutôt cool, mais à mes yeux sans doute une vie trop monotone. Ce que j'aimais avec ma vie au ranch, c'est que je ne fais jamais la même chose, d'une minute à l'autre, je peux me décider à monter sur l'un des chevaux et parcourir des prairies en profitant des autres animaux qui se baladent.
- Alors j'accepte, au moins si un homme m'invite au restaurant la prochaine fois, elle me resservira. Dis-je en rigolant.
-  Alors, ça te semble correct, comme plan de pré-soirée entre jeunes femmes célibataires et en grand besoin de décompression ?
- Carrément ! Je suis certaine qu'il y aura de supers beaux garçons. Je pense que tu as vraiment besoin d'un homme dans ta vie.
Je commençais à me servir un verre d'eau en terminant mon sandwich. Je lui appliquais ce conseil, sauf que finalement, moi aussi j'avais sans doute besoin de quelqu'un dans ma vie.
- Alors dis-moi, aucun homme parfait dans ton coeur ?

Je sais que Kat a raison. Mille fois raisons. J’ai besoin d’un homme dans ma vie. Et je sais également que ses mots ne sont pas prononcés dans l’intention de me faire du mal. Pourtant, je ressens un vif pincement au cœur. Kat ne sait pas. Notre rencontre est encore bien trop récente, notre amitié encore bien trop jeune, pour que je songe à lui révéler ce bout de mon histoire. Car même si les années m’ont aidé à remonter doucement la pente, cette blessure ne se refermera jamais et l’évoquer avec quelqu’un d’autre que mon frère me demandera sans doute une grande confiance en la personne concernée, et beaucoup d’efforts personnels. Alors, je cache simplement mon trouble derrière un sourire et je bois une gorgée d’eau. « Pas encore non… Mais qui sait si ça ne changera pas ce soir ? » Je fais mine de réfléchir, une main sous le menton. « Tout reposera certainement sur la robe que tu me conseilleras… » Je plonge mon regard espiègle dans celui de Kat. « Tant de pression sur tes épaules ! » Mes yeux deviennent rieurs. L’humour est la meilleure arme contre tout ce que ce monde peut avoir de négatif et je n’hésite jamais à m’en servir. Mais il faut parfois savoir redevenir sérieux. « J’ai entendu que le White Stallion allait organiser une fête à l’occasion du Nouvel An… Tu prévois d’aller y faire un tour ? » J’espère ne pas jeter de pavé dans la mare mais la vérité est que je ne sais rien des relations entre les deux ranches. Cela fait seulement quatre mois que la ville a ouvert ses portes, sans compter que Kat et moi n’avons jamais eu l’opportunité d’aborder ce sujet. J’ai envie de participer à cet événement, surtout pour rencontrer d’autres personnes, mais je ne veux pas risquer de blesser les Black dans le cas où ils ne s’entendraient pas avec le White Stallion. Je suis loyale, et les sentiments de mes proches sont importants pour moi. Alors ma présence ou non à cette fameuse fête dépendra de la réaction de mon amie…